Margaux Leridon

Margaux Leridon

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Ici

Ici

4 out of 5 stars
C’est le genre d’emplacement que l’on croyait réservé aux boutiques de prêt-à-porter et aux agences bancaires. À la surprise générale, une immense librairie indépendante de 500 mètres carrés (la plus grande de la capitale), Ici, s’est implantée fin 2018 à la sortie du métro Grands Boulevards. Le pari était risqué, il est réussi. Sur deux étages, l’établissement ouvert par Delphine Bouétard et Anne-Laure Vial propose une vaste sélection d’ouvrages – 75 000 refs allant de la littérature générale aux mangas en passant par les sciences humaines et la cuisine – mais aussi du bon café, que l’on peut savourer à l’une des quelques tables installées au rez-de-chaussée. C’est joli, c’est cosy, et une fois passé à la caisse, on résiste difficilement à la tentation de s’attarder un peu, pour feuilleter ses achats en dégustant un latte chaud. Les choix des libraires, signalés par de petites notices manuscrites, sont visiblement l’œuvre de vrais passionnés. Loin de se contenter de mettre en avant les derniers bouquins à la mode, ils attirent l’œil sur des titres originaux et donnent des idées enthousiasmantes. Cela fait d’Ici le lieu idéal pour trouver un cadeau à la dernière minute, et ce d’autant plus que la boutique, ouverte jusqu’à 20h, dispose d’un vaste rayon papeterie, où l’on trouve – c’est assez rare pour être souligné – des cartes de très bon goût. Seul bémol : en décidant d’être généraliste, l’établissement s’oblige à faire des choix dans chaque catégorie, et ne peut donc préten
Constance - Pot-pourri

Constance - Pot-pourri

3 out of 5 stars
Pour qui ? Ceux qui trouvent les blagues de cul plus drôles dans la bouches des filles Voir quoi ? Des sketchs en costumes Minute 0 : Constance fait la roue et nous montre sa culotte. Minute 1 : Constance dit que le caviar a un goût de bite. On va pas se mentir, l’humoriste ne renouvelle pas exactement les codes du genre. C’est pas grave, on se marre. Dans Pot pourri, son spectacle de retour au Théâtre de l'Œuvre, la princesse trash d’On n’demande qu’à en rire enfile (et insiste bien sur l’expression) une série de costumes, pour incarner un florilège de personnages féminins truculents. Là encore, on préfère prévenir : ceux qui cherchent un regard aiguisé sur la société contemporaine repasseront. Tous ses avatars – maman prout-prout au bord de la crise de nerfs, intellectuelle nymphomane en trench ou prof de musique dépressive et à moitié sadique – pourraient avoir été écrits dans les années 90. Mais ne boudons pas notre plaisir : ils sont diablement efficaces. En fait, leur côté atemporel participe même à leur succès : on a tous eu une prof de musique dépressive et à moitié sadique. Donc ça marche. Les textes sont outranciers mais ciselés, leur interprétation, impeccable. Ce qui impressionne le plus demeure l’incroyable énergie que Constance - dont on s’était habitué aux chroniques presque calmes sur France Inter - déploie tout au long du show. Il dure à peine plus d’une heure, mais on est épuisé pour elle à la fin, tant elle bouge, crie, chante et danse (plutôt bien, d’aille
Désobéir

Désobéir

4 out of 5 stars
Pour qui ? Vous (si, si !)Voir quoi ? La relève Vous n’y avez pas mis les pieds depuis votre dernière soirée Erasmus en Master 1. Pourtant, la Cité internationale n’est pas qu’un dédale de couloirs à parcourir pour aller boire des rhums-coca dans la piaule de Fernando, votre voisin d’amphi en séminaire d’anthropologie. Elle abrite aussi un théâtre, et l’on y joue ces jours-ci un spectacle réjouissant : Désobéir, de Julie Berès. Retournez donc à la Cité U, et prenez place dans les gradins. Quatre actrices déboulent sur un plateau nu. Elles ont un 25 ans à tout casser, l’énergie qui va avec, et dans la bouche, les mots de jeunes femmes de banlieue, souvent issues de l’immigration, recueillis à travers la France pendant plus d’un an par la metteuse en scène, avec l’aide de Kévin Keiss et Alice Zeniter. Chaque comédienne incarne successivement plusieurs profils, individuellement ou en interaction avec les autres, dans un mouvement joliment chorégraphié par Jessica Noita. Évitant habilement les clichés et prenant soin de ne pas imposer une lecture unique, le spectacle traduit toutefois une soif partagée de liberté et de reconnaissance – même si l’une et l’autre peuvent prendre, pour chaque femme, différentes formes. Les passages aux accents de King Kong Théorie – version 2010 et plus loin du périph – alternent avec les séquences moins politiques, en mode Girls just wanna have fun – version RnB ou musique turque. C’est rafraichissant, malin, émouvant et drôle ; on en sort – pour un
L'Échange

L'Échange

3 out of 5 stars
Pour qui ? Les habitants du 92 et les fans de Francine Bergé Voir quoi ? Francine Bergé Le texte date de 1894, mais son intrigue pourrait se dérouler aujourd’hui comme dans l’antiquité. Dans la campagne américaine, un couple de serviteurs croise le couple de ses maîtres ; les forces mêlées du désir et de la cupidité conduisent les quatre protagonistes à d’irrémédiables transgressions.  Au théâtre des Gémeaux, à Sceaux, Christian Schiaretti propose de L’Échange de Paul Claudel une version fidèle et sobre. L’idée de transposer la pièce dans le monde contemporain, tout juste signalée par les baskets branchées du couple de propriétaires et la brève apparition d’un smartphone, relève plus de l’évidence que de l’audace, et tout n’en paraît que plus juste – à voir cette mise en scène, on en vient à penser que c’est une interprétation en costumes qui aurait été artificielle et inappropriée. On retrouve cette sobriété dans les décors, minimalistes mais réussis, notamment dans l’évocation particulièrement poétique des paysages naturels (pluie, nuit étoilée). Si la performance des quatre comédiens est à saluer, c’est clairement celle de Francine Bergé qui tire le spectacle. À 80 ans, elle électrise la salle, successivement hilarante en milf américaine politiquement incorrecte, et bouleversante en femme blessée, effrayée par la perspective de la vieillesse et de la solitude. C’est elle, aussi, qui parvient le mieux à rendre vivant ce texte brillant mais difficile, dont Schiaretti choisit
4.48 Psychose

4.48 Psychose

3 out of 5 stars
Pour qui ? Les ados torturés (et les adultes qui gardent un ado torturé au fond d’eux)Voir quoi ? Un testament punk à l’accent québécois  Figure sulfureuse du théâtre britannique, Sarah Kane a rédigé 4.48 Psychose quelques semaines avant de se suicider, à 28 ans, en 1999. Dans ce texte halluciné mais dangereusement lucide, traversé d’un humour noir corrosif, elle s’épanche sur le deuil amoureux qui la mine, tout en réglant son compte à la psychiatrie qui échoue à la sauver. Au Théâtre Paris Villette, Florent Siaud propose de ce testament littéraire une nouvelle traduction, du Québécois Guillaume Corbeil, interprétée par sa compatriote Sophie Cadieux. Le fait que le texte soit écrit et prononcé en français canadien lui donne une saveur particulière, très proche de la version originale britannique, dont certains mots anglais sont d’ailleurs conservés. La comédienne est époustouflante, incarnant en une heure un spectre impressionnant d’émotions successives, sans jamais forcer le trait. C’est prenant et, bizarrement, pas déprimant du tout. Sa rage est énergisante, stimulante. La critique acerbe qu’elle dresse de la notion de santé mentale semble étonnamment actuelle – le discours qu’elle parodie pourrait être tiré d’un livre de développement personnel contemporain.  Le dispositif scénique accompagnant son monologue laisse en revanche un peu perplexe. Il y en a trop, ou trop peu. On peine à saisir le sens du jeu d’éclairages criards proposé, tandis que les quelques salves musicale
Joueurs, Mao II, Les Noms

Joueurs, Mao II, Les Noms

4 out of 5 stars
Pour qui ? Les marathoniensVoir quoi ? Don DeLillo sous ecstasy Après Roberto Bolaño et Michel Houellebecq, Julien Gosselin s’attaque à l’écrivain américain Don DeLillo. Joueurs, Mao II, Les Noms : trois romans adaptés en trois pièces, visibles séparément (les mardis, mercredis et jeudis soirs), ou en version intégrale de neuf (!) heures, le samedi, aux Ateliers Berthier (la deuxième salle de L’Odéon, dans le 17e). Dans ce spectacle entièrement filmé et retransmis en direct sur écran géant, Gosselin ne recule devant aucun cliché du théâtre contemporain : format avignonesque, acteurs à poil qui se roulent par terre en hurlant dans une langue imaginaire, musique assourdissante, etc. Seulement, cette fausse trilogie nous rappelle qu’au service d’un réel propos, les gestes théâtraux les plus outranciers peuvent être pertinents. Là où la provocation relève souvent de la pose, celle de Gosselin bouleverse par sa sincérité. Son admiration pour les textes de DeLillo transpire dans ce spectacle, qui leur offre une caisse de résonance inédite. Dans la bouche des acteurs, en surimpression sur les écrans ou écrasés par la musique, les mots débordent et nous transportent. « Notre offrande est le langage » sont d’ailleurs les derniers prononcés sur scène. Mais le spectacle se poursuit après l’ultime phrase, dans une transe hypnotique. Ce double final illustre bien le refus du metteur en scène de choisir entre texte et performance. Et c’est ce qui rend son théâtre si intense. Les mots n’y c