Taj Mahal

Critique

Taj Mahal

4 sur 5 étoiles
Un tour de force sur le plan de la réalisation pour une ambiance claustrophobe et oppressante.
  • Cinéma
  • Recommandé
Publicité

Time Out dit

Il arrive parfois qu’au détour de l’actualité, des œuvres artistiques fassent douloureusement écho à des événements tragiques. Si certains réalisateurs s'en inspirent directement et sans s’en cacher (on pense notamment à Michael Moore et Gus Van Sant pour ‘Bowling for Columbine’ et ‘Elephant’, films inspirés de la fusillade dans un lycée américain en 1999), ces références restent généralement le produit de pures coïncidences, souvent malheureuses, jamais réjouissantes. Même si les attentats de groupuscules religieux contre les pays occidentaux font depuis plusieurs années la une des gros titres, rien ne prédisposait le deuxième long métrage de Nicolas Saada à une telle résonnance au moment de sa sortie. Pourtant déjà, au montage, une bonne partie de l'équipe de Charlie Hebdo tombait sous les balles de fanatiques. Et, alors que sort 'Taj Mahal', traitement intimiste de l’attentat qui a frappé l’hôtel du même nom à Bombay en 2008, la France panse ses plaies après un 13 novembre 2015 ô combien tristement célèbre. De quoi devenir paranoïaque : Brian Wilson a sombré dans la folie et brûlé les bandes de 'Smile', successeur du mythique 'Pet Sounds', pour moins que ça.

Sidéré et fasciné, selon ses propres termes, par le récit de la nièce d’un de ses amis, présente dans l’hôtel au moment de l’attaque et qui n’a survécu que par son sang-froid et son instinct de survie, Nicolas Saada décide d’adapter à l’écran l’histoire de la jeune femme qu’il juge puissante et captivante. 'Taj Mahal' raconte donc, de façon très autobiographique mais bien évidemment avec quelques éléments de fiction, l’aventure de Louise (Stacy Martin, brillamment remarquée dans 'Nymphomaniac’ de Lars Von Trier), jeune étudiante de 18 ans qui se retrouve en Inde pour le travail de son père (Louis-Do de Lencquesaing). En attendant d’emménager dans une maison, la famille (complétée par Gina McKee) loge dans une suite du Taj Mahal Palace. Mais un soir, l’hôtel est frappé par une attaque terroriste et Louise doit se terrer seule sans sa chambre, ses parents dînant en ville. Elle ne dispose que de son téléphone pour être en contact avec l’extérieur et son père. Commence alors une interminable nuit de peur et de survie alors que la ville plonge dans le chaos.

Si Nicolas Saada prend le temps, durant les scènes d’exposition, de filmer une Louise un peu perdue errant dans les rue de Bombay, il concentre essentiellement sa réalisation sur une spacieuse chambre d’hôtel transformée en piège mortel. En résulte un impressionnant travail de mise en scène : sur un film d'une heure et demie, il réussit la performance de consacrer cinquante minutes à cet espace de plus en plus clos, pris entre les flammes et la fumée, en scotchant le spectateur à son siège. Dans une sorte de 'Argo' intimiste, on en vient à sursauter avec Louise à chaque tir ou explosion qui brise l’insoutenable silence de l’hôtel ; on tremble avec elle lorsqu’elle rampe pour aller chercher son chargeur de téléphone tandis que les terroristes tentent de défoncer la porte ; on espère lorsqu’elle parvient à communiquer avec une Italienne deux étages plus bas ; on pleure avec elle quand elle pense qu’elle ne s’en sortira pas, répétant en boucle, comme possédée, « je ne veux pas que le feu me touche », ultime complainte et prière désespérée d’une jeune fille sentant la fin de sa vie venir sans qu’elle ait vraiment pu grandir. Par ses plans symétriques, son cadre presque parfait et sa musique (composée par Nicolas Godin, moitié de Air), Nicolas Saada réussit un tour de maître en matière de réalisation et de rythme, car à aucun moment on ne quitte le film des yeux. La reconstitution de l’hôtel est brillante, la lumière magnifiquement gérée, et les quelques plans montrant Iraniens apeurés et images d’archives ne font que rajouter à l’angoisse générée. Quant aux acteurs, on parlera bien évidemment beaucoup de la performance de Stacy Martin qui, à 24 ans, n’en finit plus d’impressionner par sa justesse, mais il serait dommage de ne pas louer la touchante interprétation de Louis-Do de Lencquesaing en père soudainement inquiet et perdant peu à peu son autorité naturelle, et de la subtilité d'une fascinante Gina McKee.

Qu’a donc voulu transmettre Nicolas Saada avec 'Taj Mahal' ? Car au fond, l’intrigue s’avère très basique (un personnage coincé dans une chambre d’hôtel) et les péripéties développées dans une logique peu novatrice (s’en sortir à tout prix avec peu de moyens pour y parvenir). Le réalisateur ne fait pas non plus référence aux causes géopolitiques de cet attentat, au risque de rebuter ceux qui pensaient trouver ici un enjeu plus large que celui d’une histoire personnelle et singulière. S’il rend hommage au courage de la jeune femme (les éléments les plus importants de son histoire ont été conservés), il montre surtout avec brutalité le passage presque forcé de l’enfance à l’âge adulte, par un événement qui dépasse le protagoniste. Louise se retrouve tout le long du film dans une réalité qui lui échappe, que cela soit dans les rues de Bombay ou dans cet hôtel cauchemardesque, et grandira bien trop rapidement, ce qui la transformera à vie. A éviter, donc, pour les amateurs de Peter Pan. Pour les autres : foncez.

Détails de la sortie

  • Durée:91 mins
Publicité
Vous aimerez aussi