Much loved - Nabil Ayouch

Critique

Much Loved

4 sur 5 étoiles
  • Cinéma
  • Recommandé
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Time Out dit

Noha, Randa, Soukaina et Hlima sont mal aimées. Dès la projection à Cannes de 'Much Loved' de Nabil Ayouch dont elles sont les héroïnes, elles font scandale au Maroc. Trop crues. Trop provocantes. Enfin soi-disant ; le film n'ayant pas été projeté dans le pays d'origine du réalisateur, les réactions ne se fondent que sur quelques extraits diffusés sur Internet. Extraits qui ont suffi à justifier l'interdiction du long métrage par le ministère de la Communication marocain. En comparaison, la polémique suscitée par 'Love' de Gaspar Noé en début d'été n'est pas grand-chose. Un feu de paille. Bien sûr, montrer la sexualité – à plus forte raison celle de prostituées – n'a pas la même portée en Occident et au Maghreb. Là-bas, le sexe est politique, d'emblée. Loin, donc, des ébats gratuits montrés sous tous les angles – et ils sont nombreux, avec la 3D – par le réalisateur français. Mais Nabil Ayouch ne se contente pas d'attaquer les tenants de l'islam radical. Il pose un geste artistique fort, qui lui a valu à Angoulême le prestigieux, et mérité, Valois d'or.

En plus d'être mal aimées, les quatre protagonistes centrales de 'Much Loved' le sont trop. Plusieurs fois par jour, et sans délicatesse. À l'issue de fêtes sans joie. De beuveries arrosées par de l'argent venu d'Arabie saoudite ou d'Europe. Noha, Randa, Soukaina et Hlima imposent à leurs hanches des chorégraphies lascives et à leur visage des mines de débauchées épanouies. C'est leur travail. Leur masque. Si Nabil Ayouch montre toutes les nuances des faux-semblants – on voit à plusieurs reprises les jeunes femmes se préparer avant d'aller retrouver leurs clients –, il raconte également leur effacement sous la sueur et les larmes, et le quotidien sans fard ni obscénité des jeunes prostituées.

Lorsque Noha – Loubna Abidar, seule actrice professionnelle de la distribution féminine – fait l'amour avec son client français incarné par Carlo Brandt, impossible de dire si elle joue la tendresse ou si elle l'éprouve. Idem quand Soukaina commence à fréquenter un Saoudien qui lui lit des poèmes au lieu de lui faire l'amour. Dans ces moments d'oscillation, le subtil naturalisme de Nabil Ayouch atteint des sommets. On voit tout, on entend tout mais on ne sait rien.

Essentiellement composé de plans longs, 'Much Loved' laisse le temps aux situations de dérouler toute leur complexité. Mais dans le monde arabe, le langage des gestes et du sexe sont cryptés. Et chez les prostituées de Nabil Ayouch, il semble que le code change sans cesse. De peur, sans doute, qu'il soit découvert. Les autorités veillent, et toutes les stratégies sont bonnes pour détourner leur attention.

C'est cette métamorphose qui est au cœur de 'Much Loved'. La prostitution n'y est alors qu'un prisme grossissant braqué sur la schizophrénie d'une ville : Marrakech, qui sous des apparences pieuses et grandioses recèle drogue, alcool et sexe à volonté – à condition d'en avoir les moyens. Une intrigue classique aurait affaibli cette anarchie cachée ; Nabil Ayouch se contente de raconter un moment de vie de ces prostituées, avec quelques événements saillants parmi une multitude de petits riens. Ce qui a précédé la scène initiale de fête chez des Saoudiens, seules quelques phrases permettent de le deviner. 'Much Loved' est beaucoup plus pudique qu'il y paraît. Si les corps y sont montrés dans tous leurs excès et leurs faiblesses, les sentiments ne s'y disent qu'à demi-mot. Et à demi-geste.

N'en déplaise à ceux qui – sans l'avoir vu, répétons-le – ont fait interdire le film au Maroc, les héroïnes de Nabil Ayouch ne font pas que baiser. Elles rient. Elles caressent. Elles aiment leurs enfants et leurs amies. Parlent de tout et de rien. Dansent et plaisantent avec leurs copains transsexuels, plus marginalisés encore qu'elles-mêmes. Sans doute ne sont-elles pas libres. Elles ont des moments de liberté, et dans un pays aussi patriarcal que le Maroc, la chose est rare. Noha et ses amies sont des héroïnes paradoxales : leur pouvoir subversif réside dans l'humiliation. Mais pas seulement celle des corps qu'elles plient aux désirs de clients souvent grossiers. Ces derniers, eux aussi, sortent abaissés de leurs orgies. Nabil Ayouch se garde cependant de verser dans un manichéisme binaire : si quelques-uns de ses personnages ne sont que bassesse, les autres balancent entre sublime et abject.

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