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Entre 1963 et 1968, Jean-Luc Godard a sorti pas moins de deux films par an. Minimum. En 1965, l’année de ‘Pierrot le fou’ (sans doute le plus joyeux et réussi des films de sa première période), Godard tourne ‘Masculin Féminin’, long métrage dépouillé en noir et blanc, avec Jean-Pierre Léaud et Chantal Goya – avant que celle-ci ne se mette à chanter des histoires de lapin et de chasseur.
A travers Paris, ‘Masculin Féminin’ suit l’histoire de Paul (Léaud), jeune militant contre la guerre du Vietnam, démobilisé de l’armée et à la recherche d’un travail, qui passe ses journées à arpenter les cafés et les rues de la capitale. Amoureux de Madeleine (Goya), apprentie chanteuse pop obnubilée par sa carrière, Paul trouve bientôt un emploi à l’IFOP, pour lequel il enquête sur les mœurs des Français ; sorte de mise en abyme, d’ailleurs, du projet que Godard lui-même poursuit avec ce film, comme il continuera de la faire, quelques mois plus tard, avec ‘Deux ou trois choses que je sais d’elle’.
Paris de jour, Paris de nuit, à pied ou en bus, dans un café ou une laverie, un bureau, une cour d’immeuble : la ville est au centre du film. Une ville qui paraît bien vile, où se croisent les questions du racisme, de la corruption et de la violence étatique, de la mondialisation (déjà !) de l’exploitation industrielle, du chômage et de la prostitution occasionnelle (sujet qui traversait déjà le très beau ‘Vivre sa vie’ en 1962), de la contraception et de l’avortement, mais aussi de la culture populaire, à travers des échos de Charlie Parker, Bob Dylan ou un caméo de Brigitte Bardot.
Et tandis que le personnage interprété par Jean-Pierre Léaud tague « paix au Vietnam » sur une voiture de l’ambassade américaine ou « à bas la République des lâches » sur la porte des toilettes d’un cinéma, Godard lâche en parallèle ses messages écrits à l’écran, commentaires de son propre film tels que « le philosophe et le cinéaste ont en commun une certaine manière d’être, une certaine vue du monde, qui est celle d’une génération ».
Parfois désabusé, critique ou cruel (notamment lors d’un grinçant « dialogue avec un produit de consommation »), ‘Masculin Féminin’ réussit à conserver une légèreté de ton qui contraste avec la dureté de ses thèmes. Qui ne vont pas sans évoquer le monde d’aujourd’hui.