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Présenté à Cannes dans la catégorie Un certain regard – où il se vit récompensé, à juste titre, par le prix de la mise en scène – L’Inconnu du lac partage avec La Vie d’Adèle (qui, faut-il le rappeler, reçut haut-la-main la Palme d'or) au moins une caractéristique notable : tout en traitant sans tabou de l’homosexualité, chacun des deux films réussit en effet à exprimer le désir au sens le plus large. Et la sensualité, la passion, au-delà des pratiques et des normes.
Qu’il s’agisse d’hommes mûrs (ici), ou de jeunes filles (dans le film de Kechiche), un même sentiment domine donc : celui que l’amour est une aventure sensuelle, psychique, débordant deux individus dont le genre (homo, hétéro ou bi…) n’a, sur le fond, qu'une importance très relative. Ainsi, l’homosexualité ne relève plus d’un ghetto ou d’une nécessité militante, mais se retrouve comme une expression parmi d’autres des puissances de l’érotisme, infini mouvement d’attraction et de fascination entre les êtres.
Autre point commun entre les deux films : si le genre ne compte effectivement pas, le sexe se révèle, en revanche, au cœur du rapport amoureux. Et, du coup, de l’écran. Autrement dit, il faut reconnaître qu’on voit défiler pas mal de phallus dans le film d’Alain Guiraudie, dont le personnage principal, Franck (Pierre Deladonchamps), trentenaire beau gosse, investit un lieu de drague naturiste pour hommes, au bord d’un lac du Sud-Ouest.
Partagé entre son amitié naissante pour le doux et bedonnant Henri (Patrick D’Assumçao) et son désir grandissant pour Michel (Christophe Paou), inquiétant sportif TBM bardé d’une moustache à la Tom Selleck, Franck se confond peu à peu avec le soleil, le vent dans les pins, l’immensité aqueuse du lac. Autant que la sensualité torride des corps, celle de la nature traverse L’Inconnu du lac, avec une attention panthéiste et délicate, accordée au clapotis de l’eau comme aux lueurs du crépuscule. Un peu comme si Terrence Malick avait subitement envie de baiser.
A la fois prosaïque et mystique, le début du film, lumineux, se voit toutefois bientôt détourné par une étrange histoire de noyade et de tueur en série. Métaphore du sida, de l’homophobie ou d’une excitation liée au danger, au déraisonnable, cette seconde partie du film réussit à trouver un ton inédit, à mi-chemin entre la comédie et le thriller. Film couillu dans tous les sens du terme, L’Inconnu du lac finit alors par pénétrer le spectateur de son étrangeté complice, douce et maline, à la fois film de genre, toile impressionniste et essai sur l'érotisme.
Somptueusement filmé et mis en scène avec un mélange très juste de pudeur et de crudité, le film de Guiraudie parvient, au bout du compte, à traduire en images ce qui fait du sexe une expérience bouleversante, un point de bascule, une glissade dans l’indicible et l’inconnu. Tour à tour tragique et grotesque, mortel et excitant, éphémère et sans limite. Si bien qu’on en ressort comme dans un flottement, songeant à L’Éternité de Rimbaud (et à sa « mer allée avec le soleil »), ou à certains textes de Georges Bataille (des Larmes d’Eros aux poèmes de L’Anus solaire). Bref, un film sincère, sensuel et rare, qui aborde la sexualité avec un talent tel qu’on ne l’avait vu au moins depuis Shame. Ce qui fait le plus grand bien.