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S’il s’agit vraiment de l’ultime long métrage de Hayao Miyazaki – mais vu qu’il a tendance à annoncer sa retraite avant la sortie de chacun de ses films, ce n’est pas encore chose faite – Le vent se lève s’avère une conclusion à la fois adéquate et inconfortable. De prime abord, c’est un biopic de Jiro Horikoshi, l’inventeur des bombardiers japonais Mitsubishi A6M Zero, où on le voit passer de jeune rêveur à rouage de la machine de guerre japonaise. Mais on y trouve aussi plusieurs indices autobiographiques ; en s’articulant autour du destin d’un inventeur anticonformiste, le film est une célébration de l’indépendance artistique, un dénigrement de la culture d’entreprise japonaise… bref, une validation de la carrière de Miyazaki et de son Studio Ghibli.
Véritable modèle de dévouement à son entreprise, Horikoshi sacrifie tout – y compris une liaison romantique (un brin sous-exploitée) – à la quête de la perfection dans son travail. D’où la controverse qui entoure le film, puisque les inventions de l’individu en question ont été utilisées par l’armée japonaise et ses kamikazes avec des résultats dévastateurs. Miyazaki ignore cela ; pour lui, l’avion est un pur fétiche, comme on le constate dans plusieurs scènes de vol étincelantes où même les dégâts sont esthétisés. Par moments, on dirait presque que le film soutient la politique de renforcement militaire, sur laquelle la propagande du Japon impérial a été fondée.
Certes, le sujet n’a pas manqué de faire naître des polémiques à gauche et à droite. Mais Miyazaki est loin d’être Leni Riefenstahl, et Le vent se lève n’est pas un hommage patriotique aux forces aériennes nipponnes. Dès le départ, l’ombre de la mort et de la destruction plane sur Horikoshi : au fur et à mesure de ses voyages en Occident, on l’avertit plusieurs fois des risques liés à l’industrialisation et au nationalisme. Quant au séisme qui a dévasté Tokyo en 1923 (représenté ici dans une scène aussi courte que spectaculaire), il semble directement présager le chaos à venir. Surtout, le film est un portrait persuasif d’un jeune homme de génie qui se fait entraîner, par sa naïveté, dans l’effort de guerre (on pense aussi à Albert Einstein), et il serait dommage que son message nuancé soit perdu dans une polémique médiatique.
Mais trêve de politicaillerie, Le vent se lève couronne la carrière de Miyazaki avec la plus belle animation produite jusqu’à présent par le Studio Ghibli. On pourrait baisser le son et simplement apprécier le film comme une longue séquence de tableaux, exquis, du Japon d’avant-guerre. On pourrait également passer les deux heures du film à détecter les nombreux clins d’œil au catalogue Ghibli : les avions fantômes de Porco Rosso, les idylles pastorales de Mon voisin Totoro, le vent qu’on retrouve partout dans l’œuvre du réalisateur. En défendant son travail, le vrai Horikoshi a déclaré : « Tout ce que je voulais, c’était faire quelque chose de beau. » Avec ce film, Miyazaki paraît vouloir lui rendre justice.
Et c’est tant mieux, car les aficionados de Miyazaki se trouveraient sinon en terre inconnue : une histoire « adulte », peu de fantaisie, un protagoniste masculin – le tout déroulé sur un ton sobre et introspectif, qui s’assombrit au fur et à mesure que Horikoshi perd ses illusions. Dans la dernière scène, il s’imagine les dégâts semés par ses avions et contemple l’ironie d’un esprit créatif gaspillé au service de la destruction. On se trouve donc à des années-lumière des petits personnages bien mignons qui peuplent ses autres films. Pourtant Le vent se lève partage avec toute l’œuvre du réalisateur les thèmes du vieillissement et de la perte de l’innocence, soutenue par une sensibilité prononcée pour l’éphémère. Un chant du cygne sombre, troublant et profondément émouvant, pour l’une des carrières les plus éblouissantes du monde de l’animation.