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Inutile de tourner autour du pot, Interstellar est bien ce qu’il paraît être : un film qui vous en met plein la gueule – mais avec une certaine classe – pendant près de trois heures. D’ailleurs, si vous vous souvenez du délire visuel intergalactico-psychédélique à la fin de 2001, l’Odyssée de l’espace, sachez que Christopher Nolan s’en souvient fort bien lui aussi. Bref, Interstellar a le mérite de rester un film de SF assez old school d’un point de vue formel (refus de la 3D et des fonds verts, abondance de décors naturels…) : du grand spectacle à l’ancienne, comme on n’en voit finalement qu’assez rarement.
Niveau scénario, c’est plus compliqué. Plusieurs arcs narratifs et niveaux d’écriture se mêlent dans Interstellar, dont le traitement se révèle, au fur et à mesure, assez inégal. Parfois obscurément brillant, parfois clairement je-m’en-foutiste. Dans un futur proche, la Terre est sur le point d’être définitivement ruinée pour (et par) les hommes. Entre famine et asphyxie à venir, la fin du monde est proche. Heureusement, Matthew McConaughey (ta-da !) va traverser l’espace, aidé par Anne Hathaway et ce qui reste de la NASA, pour trouver un écosystème viable pour la survie de l’humanité. Oui, c’est assez gros, mais ça passe comme dans du beurre.
Car en développant l’idée de « trous de ver » dans le cosmos, qui communiqueraient entre plusieurs espace-temps, le film trouve une idée originale qui permet à Christopher Nolan et à son frère Jonathan, co-auteurs du scénario, de retrouver l’atmosphère pluridimensionnelle d’Inception ou le trip sur le temps et la mémoire de Memento. Inspiré des recherches de l’astrophysicien Kip Thorne, le voyage dans l’espace proposé par les frères Nolan semble donc bien tenir la route sur le plan « scientifique ». On n’y connaît pas grand-chose, mais on y croit assez.
En revanche, certains « passages obligés » scénaristiques semblent traités un peu par-dessus la jambe. Ainsi, lorsque Cooper (McConaughey) passe, dès le début du film et en moins de cinq minutes, du statut d’ancien ingénieur devenu fermier à celui de sauveur de l’humanité pour le compte de la NASA, on reste un peu dubitatif. Autrement dit, si certains aspects du scénario paraissent extrêmement chiadés, d’autres ne semblent que curieusement esquissés. En même temps, le film aurait peut-être duré huit heures s’il avait voulu entrer dans les détails.
Au fond, Interstellar a beau être cet énorme film ultra-ambitieux, il a tout de même ses failles. Mais c’est précisément ce qui le rend attachant. Ainsi, le cahier des charges de tout blockbuster qui se respecte inclut son quota de séquences « émotion ». Or, d’ordinairement froid, Nolan se laisse ici aller à une expression de sentiments très simples, sincères, presque naïfs mais universellement touchants. Ayant laissé ses deux enfants sur Terre, le héros baryton d’Interstellar les voit ainsi vieillir de vingt-trois ans en quelques minutes d’enregistrements vidéo – alors que lui-même n’a passé que deux heures sur une planète où le temps se trouvait dilaté. Emouvante, la scène l’est terriblement parce qu’elle accepte de ne dire que le minimum, de signifier en accéléré, assez pudiquement, la douleur du temps perdu.
Visuellement admirable, sous la double influence de Kubrick (2001) et de Tarkovski (Solaris, en particulier) avec des bouts d'Alien et Star Wars dedans, Interstellar reste avant tout un film de Christopher Nolan, où l'on retrouve tous ses thèmes de prédilection, à commencer par une mélancolie sourde et par la question de la filiation, de la trace laissée à ses proches, en particulier à ses enfants. Alors, peut-être y a-t-il trop de dimensions dans Interstellar… Mais au fond, ça tombe bien, puisque c’est toute la question du film (eh oui, ceci est bien un jeu de mots sur la physique quantique). Sans doute l'un des derniers classiques de la SF pour ce monde-ci.