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Montréal regorge de bons chefs, mais nous partons aujourd’hui à la découverte de celles qui n’hésitent pas à révolutionner l’industrie de la restauration. Au fil de cette série d’entrevues, Time Out Montréal part à la rencontre de ces femmes incroyables qui représentent le meilleur de la scène gastronomique de la métropole et qui ravissent les papilles des clients du Time Out Market Montréal. Au cours de cette seconde entrevue, nous nous sommes entretenus avec la célèbre Dyan Solomon. À la fois cheffe, auteure et restauratrice, la co-propriétaire de l’emblématique Olive et Gourmando, situé dans le Vieux-Montréal, du Caffe Un Po' Di Più et de Foxy, un incontournable de Griffintown, nous invite dans les coulisses de sa carrière. Depuis ses débuts dans les camps forestiers jusqu’à la fine cuisine, elle nous raconte la transformation de son appartement en chambre froide, sa prise de confiance en cuisine et nous partage ses meilleures adresses en ville.
Cette entrevue a été révisée et condensée pour plus de clarté.
Dyan Solomon se passe de présentation, mais la voici tout de même : En 1998, Dyan Solomon et son partenaire d’affaires Éric Girard, rencontré alors qu’elle travaillait chez Toqué!, ouvraient Olive et Gourmando sur la rue Saint-Paul Ouest du Vieux-Montréal dans l’objectif de servir de bons petits plats rustiques et réconfortants tant aux résidents du quartier qu’aux célébrités de passage (dont Bono, Jake Gyllenhaal et Meghan Markle, trois de ses plus grands fans). Depuis cette époque, elle a présidé à la naissance à toute une série de grands succès (que vous découvrirez au fil de l’entrevue), dont un livre de recettes intitulé Olive et Gourmando, paru en novembre 2019. Chaleureuse et charmante, Dyan Solomon ponctue souvent ses phrases d’un grand éclat de rire qui vous réchauffe le cœur.
Qui es-tu, que fais-tu et depuis combien de temps le fais-tu?
Je m’appelle Dyan Solomon. Je suis copropriétaire d’Olive et Gourmando, de Foxy, du Caffe Un Po' di Più, ainsi que de deux restaurants faisant partie du Time Out Market Montréal : Olive et Gourmando et Foxy.
Quand as-tu décidé de te lancer dans l’industrie de la restauration?
Je suis aujourd’hui âgée de 52 ans… et mon tout premier emploi était dans un restaurant. J’avais 15 ans à l’époque, mais je n’ai jamais quitté l’industrie depuis. Entre temps, je suis allée à l’université, j’ai obtenu deux diplômes, mais même lorsque je poursuivais ma maîtrise, je dirigeais un mini service de traiteur dédié aux lancements de livres.
Et en quoi as-tu étudié?
J’ai étudié la littérature anglaise à McGill et j’ai ensuite obtenu ma maîtrise en théorie littéraire féministe.
Et où cuisinais-tu les plats pour ton « mini service de traiteur »?
Dans ma cuisine! J’avais transformé une petite pièce juste à côté en une gigantesque chambre froide… en éteignant simplement le chauffage et en ouvrant les fenêtres en hiver. [Rires]
À la bonne vieille école!
C’était une très mauvaise idée! [Rires]
Quel était le nom du restaurant où tu as fait tes premiers pas à 15 ans?
Il s’appelait, tenez-vous bien, le Reuben’s. Il s’appelait d’abord Reuben’s, puis elle [la propriétaire] l’a renommé le Reuben’s et Botticelli, Dieu sait pourquoi. C’était une minuscule épicerie juive de Kingston, en Ontario, où j’ai grandi, et elle y importait des bagels du Fairmount et de la viande fumée du Schwartz’s. Maintenant que j’y repense, c’était un vrai génie.
Et ensuite?
Ensuite, je suis partie faire la cuisine dans un camp forestier pendant quatre étés d’affilée, une expérience que je considère toujours comme l’une de mes meilleures formations en cuisine. J’ai ensuite travaillé dans de nombreux restaurants, puis ma petite entreprise de traiteur a fini par se transformer en une grande entreprise de traiteur. C’est mon directeur de thèse qui m’a dit : « J’ai l’impression que tu es plus passionnée et plus impliquée dans ce domaine que dans ta thèse ». Je cuisinais pour plusieurs de ses événements à l’époque, et c’était là toute la permission qu’il me fallait. J’ai quitté l’université dans les six mois qui ont suivi, puis je suis entrée à la New England Culinary Institute du Vermont.
Combien de femmes y avait-il à l’époque?
Il y en avait quand même plusieurs, ce n’était pas si mal. Il y avait bien évidemment plus d’hommes, mais je n’étais pas la seule. On y trouvait peu de femmes professeures, par contre. Ma seule professeure parmi tous les vieux Français grognons enseignait la pâtisserie… quel bon vieux cliché!
Tu as mentionné que c’est ton directeur de thèse qui t’a donné le petit coup de pouce dont tu avais besoin. Est-ce que ça a été comme une illumination?
Mes deux parents sont médecins, tous deux ont été professeurs, des professeurs adjoints à McGill et à Queen’s. Je viens donc d’une famille où les métiers manuels… ne représentaient pas vraiment une véritable option de carrière. Alors, d’une certaine manière, oui, c’est mon directeur qui m’a poussé à ce déclic, à ce « aha! ». J’avais en quelque sorte besoin de la permission de quelqu’un qui évoluait dans cette tour d’ivoire. Il avait à peine fini sa phrase que j’étais déjà dans le cadre de porte, en me disant « merde, mais à quoi je pensais? ».
Entre l’école culinaire et Olive et Gourmando, dans quelles cuisines as-tu été formée?
J’ai fait mon premier stage chez Toqué!, du temps où il se trouvait sur Saint-Denis, où c’était encore un tout petit restaurant. C’est Normand [Laprise] qui m’a engagée. Nous n’étions que trois en cuisine, c’était une époque très différente pour Toqué!, une époque très excitante. J’ai fait mon stage là-bas, puis j’ai fait un deuxième stage à Boston sous une nouvelle cheffe émergente. Elle s’appelait Corrina Mozo. Sa carrière était en pleine ascension et elle avait été nommée Jeune chef de l’année par Bon Appétit. Ensuite, je suis revenue à Montréal et je suis retournée chez Toqué!, où je suis restée pendant de nombreuses années et où j’ai rencontré mon partenaire d’affaires, Éric. Éric tenait absolument à ouvrir son propre restaurant et il m’a un peu entraînée avec lui. Je n’avais jamais rêvé de posséder ma propre entreprise avant ça.
Pourquoi pas?
Je n’avais pas suffisamment confiance en moi. Je me disais : « Mon Dieu, non, j’en ai encore pour dix ans avant d’être prête à me lancer ».
Il y a tellement de voix qui nous poussent à ne pas croire en nous, peu importe l’industrie…
En rétrospective, si tu repenses à celle qui n’était pas prête à se lancer, crois-tu que tu sous-estimais tout simplement tes capacités?
Oui… parce que je suis une femme. Je pense que les femmes ont souvent tendance à se sous-estimer. Même à l’époque où j’étudiais à McGill, je recevais un « A » et je me disais : « Ah-ah! J’ai réussi à les berner ». Je ne me suis jamais avoué mes propres capacités, jamais. Encore aujourd’hui, je suis une propriétaire du type plutôt timide. Je n’assume pas mon propre succès, j’ai encore l’impression de m’en sortir par la peau des fesses. J’entends toujours cette petite voix dans ma tête, mais j’en suis honnêtement reconnaissante. C’est ce qui fait de moi une bonne patronne, quelqu’un de bien et pour qui on a envie de travailler. Ça me permet de contrôler mon ego! Mais je pense que les femmes en général ont beaucoup de mal à preuve de cette petite dose de bravade nécessaire.
Ma prochaine question n’est peut-être pas originale, mais elle est importante : est-ce que c’est difficile d’être une femme dans une cuisine professionnelle? Quelle a été ton expérience par rapport à la culture de la restauration?
Dans l’ensemble, j’ai vécu une expérience formidable. Je remercie la chance, je remercierai toujours la chance. Le premier restaurant où j’ai travaillé appartenait à une femme, et l’équipe était [aussi] formée de nombreuses femmes. J’ai donc fait mes premiers pas dans l’industrie de la restauration dans un contexte particulier, puis j’ai choisi mes prochains emplois en conséquence. Je n’ai jamais travaillé avec des gens du type macho psycho. Ça ne m’intéressait pas, et je ne me sentais pas obligée de le faire. J’ai toujours eu l’impression qu’il y avait une meilleure option. J’ai donc travaillé pour Corrina, puis Normand Laprise, qui est probablement le gars le moins macho que je connaisse et qui a aussi une partenaire d’affaires incroyable, Christine Lamarche, qui représente 50 % de leur succès. Je suis entré dans sa cuisine et je n’y ai trouvé aucune femme, et encore moins d’anglophones, mais il a su m’accueillir à bras ouverts et me tailler une place de choix. Même si j’ai travaillé avec quelques types louches, je me suis toujours sentie très respectée et appréciée chez lui. Ça m’a donné la force de continuer et de trouver des collègues de cuisine avec qui je pouvais m’identifier. En gros, ma carrière en cuisine s’est plutôt bien déroulée, ce qui est plutôt rare pour une personne de mon âge.
Et où Dyan Solomon sort-elle manger à Montréal?
Elena fait partie de mes grands favoris. J’habite littéralement dans sa cour arrière et Ryan [Gray] est l’un de mes plus grands amis – je suis si fière de lui. Liam [Barron] de chez Loïc est l’un des meilleurs chefs de la ville. Il est incroyablement talentueux et les gens n’ont pas encore découvert tout ce qui s’y passe sur le plan gastronomique. L’Express a quant à lui toujours fait partie de mes incontournables, et le fera encore pour des années à venir. C’est l’une des bases de mon alimentation!