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« J’ai été servie par la chance » : notre conversation avec la chef Leigh Roper

Écrit par
Dave Jaffer
Chef Leigh Roper
Photograph: Jaclyn Rivas
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Il y a des bons chefs à Montréal, mais il y a aussi des grandes chefs. Et ce sont leurs histoires que nous voulons entendre. C’est pourquoi notre toute nouvelle série d’entrevues présente des femmes incroyables, les meilleures de la scène gastronomique de notre ville et toutes des chefs au Time Out Market Montréal. Pour notre première entrevue, nous nous sommes entretenus avec la chef Leigh Roper du très célèbre restaurant Foxy de Griffintown, reconnu pour son four à bois. C’est là que nous avons parlé de sa carrière, des endroits où elle aime manger en ville et de ses expériences avec la culture fortement masculine des cuisines.

Cet entretien a fait l’objet d’un montage et il a été condensé pour plus de clarté.

La page en anglais de Wikipédia sur la ville de Saint-Lambert, au Québec, liste, parmi ses « Natifs et résidents marquants » l’astronaute Steve MacLean et la musicienne Régine Chassagne d’Arcade Fire. Le temps nous dira si Leigh Roper parvient un jour à atteindre ce palmarès. En fait, vous pourriez l’ajouter vous-même maintenant, mais sa réputation comme l’une des meilleures et plus brillantes chefs de Montréal est déjà établie. 

Pourtant, il n’était pas écrit dans le ciel que Leigh deviendrait chef. Enfant, sa relation avec la nourriture n’était pas facile. Ce n’est que plus tard qu’elle découvert le monde une bouchée à la fois, inspirée par les grands chefs cuisiniers près desquels elle a évolué et par les cinq mois qu’elle a passés à découvrir les saveurs de l’Inde à 19 ans.

Commençons par le commencement : qui es-tu, que fais-tu et depuis combien de temps le fais-tu ?

Je m’appelle Leigh Roper et je suis chef cuisinière du restaurant Foxy. Il y a deux chefs chez Foxy, moi et mon collègue Vince [Vincent Russell] et nous dirigeons aussi ensemble notre comptoir au Time Out. Je cuisine depuis dix ans maintenant, depuis que j’ai quitté l’école.

Où as-tu fait tes études ? 

À l’ITHQ.

Comment et où as-tu commencé ? Et comment en es-tu arrivé à aujourd’hui ?

Lorsque j’étais à l’école de cuisine, j’ai trouvé un emploi comme plongeuse la fin de semaine au McKiernan, l’ancien, qui est maintenant le nouveau McKiernan [Luncheonette]. Je faisais la vaisselle pour les brunchs et ils m’ont aussi trouvé un emploi une fois par semaine, le dimanche, pour préparer la cuisine de la cabane à sucre Au Pied de Cochon. Quand je suis sorti de l’école, j’ai appelé les gens de Joe Beef et ils étaient prêts à me donner un emploi au Liverpool House, puis ils m’ont transféré à Joe Beef. J’ai été préposée à l’approvisionnement, pâtissière, peu importe, puis je suis devenue sous-chef du Joe Beef et enfin chef de cuisine au Vin Papillon. J’ai été un membre de cette famille de restaurants pendant cinq ans et j’ai ensuite décidé de partir pour faire autre chose. C’est alors qu’Éric [Girard] et Dyan [Solomon] m’ont contacté pour parler d’un nouveau projet. Nous avons mis beaucoup de temps avant de décider que nous allions y faire toute la cuisine sur feu ouvert. Nous avons finalement opté pour un grill à charbon de bois et un four à bois et nous adorons. Foxy a ouvert ses portes il y a un peu plus de quatre ans et j’étais là avant l’ouverture.

Chef Leigh Roper & Chef Vincent Russell
Chef Leigh Roper & Chef Vincent Russell
Photograph: Jaclyn Rivas

As-tu une révélation à un moment, la certitude que c’était ta voie ?

Non, il n’y a pas eu de moment de révélation. C’était plus une progression. Un jour j’ai réalisé que j’organisais mon temps plus en fonction des soupers à préparer la fin de semaine [que sur l’école]. Je n’étais pas attaché à ce que je faisais à l’université. 

Peux-tu nommer des personnes, cuisiniers ou non, qui ont influencé ta façon de cuisiner ? Pourquoi ?

Joe Beef m’a certainement influencé plus que tous les autres pendant les cinq ans que j’ai passés avec l’équipe. C’est un restaurant très créatif. J’ai travaillé très étroitement avec Marc-Olivier Frappier et il est probablement la personne qui a le plus influencé la manière dont je cuisine aujourd’hui. Et pour l’inspiration, je suis un peu obsédée par Chez Panisse depuis un certain temps. À l’époque où j’étais à Joe Beef et que j’avais la main à la pâte un peu partout, j’ai aussi travaillé deux jours Chez Panisse. L’expérience a été aussi géniale que je le pensais.

On dit que les cuisines de restaurants sont un endroit difficile pour les femmes en raison de la misogynie qui y règne et de la culture « macho » qui persiste. Comment décrirais-tu ton expérience ?

J’ai été servie par la chance. L’essentiel de mon expérience s’est passé à Joe Beef. Théoriquement, cet endroit devrait être très macho et je pense que c’est le cas d’une certaine manière. Mais les personnes au sommet, Fred, Dave et Marc-Olivier, avaient du respect pour moi et j’ai toujours senti que j’étais la bienvenue et que j’étais traitée en égale. Mais ce n’est certainement pas la norme dans les cuisines. Mon parcours a été sensiblement facile. J’ai aussi une forte personnalité. Certaines femmes vont dans les cuisines et, pour que ça marche, décident de jouer le jeu. De mon côté, je n’essaye pas d’entrer dans la culture macho. Dyan et Éric ont une vision très précise de la façon dont ils veulent que leurs cuisines fonctionnent : beaucoup de femmes, beaucoup de gens qui s’identifient de manières différentes. Ils ont donné le ton et leur cuisine ne fonctionne pas sous une culture misogyne. Et ni moi ni Vince n’aimons ce genre d’atmosphère non plus. Alors nous avons en quelque sorte établi des règles tacites et verbales pour éviter ce genre de choses. Il y a eu des incidents, des moments où nous avons senti cette culture misogyne se pointer le nez et nous avons dû mettre notre pied à terre. Je m’en suis sorti indemne. Ça reste difficile par contre pour moi de répondre à cette question, car mon chemin a été plus facile. Je n’en ai pas tant souffert. 

Tu n’étais pas censée souffrir. Les histoires de souffrance devraient être minoritaires. 

J’espère qu’elles sont des exceptions, mais je sais que ces problèmes sont courants. À la fin de l’école, j’ai fait un stage en France pour l’été. La culture misogyne était forte et désagréable. Je n’ai pas aimé mon expérience. Je n’ai pas aimé cet aspect. Si ça avait été ma première expérience, dans ma première cuisine, je ne sais pas si je m’en serais sorti, ou si j’aurais voulu continuer.  

Comment t’es-tu sentie ?

Tout simplement malvenue, inconfortable, mise à l’écart. Je pense que c’est un des problèmes bizarres de cette culture misogyne. Même si c’est dégueulasse et que vous ne voulez rien avoir à faire avec ça, en même temps, ça vous exclut des blagues et des choses qui font que les gens s’entendent et vont de l’avant. Quand vous avez un chum avec qui vous pouvez faire toutes les blagues cochonnes et autres, c’est le gars que vous allez probablement promouvoir à votre poste de sous-chef. 

Est-ce que c’est encore comme ça à Montréal ? Cette culture misogyne ?

Oui, elle est encore là.

On parle beaucoup de cette culture macho, des mauvais comportements, mais aussi des salaires fixes avec des heures de fou et des problèmes de surmenage. La situation s’est-elle améliorée ici depuis que tu as commencé ?

Oui, et je pense que les [cuisiniers] en sont plus conscients. C’est peut-être aussi une question d’âge pour moi. Quand tu as 20 ans et que tu travailles dans les cuisines, tu es souvent prêt à travailler une tonne d’heures gratuitement. À mesure que tu prends de l’âge, tu finis par te dire « attend, c’est pas tant le fun, pourquoi est-ce que ça se passe comme ça ? »

Restaurant Foxy
Restaurant Foxy
Photograph: Jaclyn Rivas

Où mange Leigh Roper à Montréal ?

Je m’en tiens aux endroits que je connais, que j’aime et qui ne sont pas trop chers. Personne ne peut vraiment se permettre de perdre 100 $ ! Pho Tay Ho, j’y vais dès que je peux, c’est l’un de mes préférés. L’Express aussi. Mon chum est également cuisinier, donc si nous finissons tard et que quelqu’un s’occupe de notre bébé, nous allons à L’Express et nous prenons une bouteille de vin. Je prends généralement le steak, mais j’adore leur parfait au foie de poulet. Et un autre endroit où je vais tout le temps ? La dînette Triple Crown. C’est un de mes favoris.

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